• Aurélia est le surnom attribué par Gérard de Nerval à Jenny Colon, son amour déçu dont il ne s’est jamais consolé, associée à Sophie Dauwes, une autre de ses égéries. Au lendemain du profond chagrin causé par la rupture avec Jenny, Gérard eut une grave crise psychique suivie, deux ans plus tard, par son voyage en orient qui lui procura une rémission.

    La souffrance causée par l’abandon qu'il a subi des femmes aimées, pour cet homme qui ne connut pas sa mère, est un thème permanent.

    Aurélia est le récit de cette longue maladie, sans doute entamé depuis la perte de son amour, jusqu’à son séjour dans la clinique du docteur Blanche à Passy en 1853-1854. Cette période se caractérise par ce que Nerval appela « l’épanchement du songe dans la vie réelle » et son récit relate scrupuleusement certains de ses rêves au caractère fantastique, marqués par les mythologies orientales reliées au christianisme, dans une tentative de syncrétisme cher à Gérard. Pour Gérard, « le rêve est une seconde vie ».

    La précision du récit des visions mélangeant toutes sortes de divinités est étonnante, et les détails fournis sur le déroulement quotidien des crises démontrent l’effet profond et durable qu’elles eurent sur le malade, ainsi que sa lucidité.

    Nous ne pouvons manquer d’être surpris de la beauté du texte par lequel l’auteur relate sa propre démence. Bien avant la naissance de la psychanalyse, Nerval prit conscience de l’importance des rêves dans la santé mentale des individus et sut traduire les visions qu’ils contiennent sous une forme littéraire admirable.

    Pendant ses périodes de rémission, on voit Nerval hanter les sites qu’il affectionnait au cours de ses errances nocturnes parisiennes, sur la butte Montmartre ou dans le quartier des Halles, errer dans les faubourgs de Paris, ou bien rechercher les lieux de fête au cours de ses voyages vers l’Autriche ou l’Allemagne.

     

    Dans la seconde partie, toutes les obsessions de Gérard sur les mythes et les religions orientales ressortent en visions mystiques et cosmogoniques : «les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le chœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs ! … Rien n’est indifférent, rien n’est impuissant dans l’univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver ! » Les esprits maléfiques « hostiles et tyranniques » dominent. 

     

     

     

     

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  • Un jeune Français, Jacques Revel est arrivé en train à Bleston, une grande ville industrielle du nord de l’Angleterre, similaire à Manchester ou Sheffield, avec son climat humide, la fumée des usines qui a noirci les bâtiments et l’étendue de ses quartiers périphériques aux longues rues bordées de maisons jumelles. Venu effectuer un stage dans une entreprise, Jacques Revel ressent immédiatement le caractère hostile de cet environnement qu’il devra supporter toute une année.

    Le roman est constitué par le journal que se met à tenir Jacques Revel huit mois après son arrivée, dans lequel il raconte les événements passés depuis son installation. Ce récit comporte donc des lacunes dues aux défauts de la mémoire. Il est irrégulier aussi : Jacques Revel n’écrit que le soir en rentrant de son travail ou de ses sorties, et jamais le week-end. Il est amené à revenir inlassablement sur les événements antérieurs déjà exposés. Son journal est en pratique un « patchwork » dans lequel il est malaisé de se retrouver. Il montre que les premiers mois, les soirées de Jacques Revel ont été largement consacrées à la recherche d’une chambre en ville, ce qui l’obligea à s’orienter dans cette agglomération qui apparaît comme un labyrinthe. Et à la lecture, on se rend compte que dans ce roman coexistent deux labyrinthes au milieu desquels Jacques Revel évolue et doit s’efforcer de trouver la sortie : le labyrinthe de la ville aux multiples strates et le labyrinthe du temps en miettes qu’il s’emploie sans relâche à jalonner par les mots qu’il écrit à la fin de ses journées.

    Il se retrouve ainsi comme le héros Thésée, confronté à l’obligation de tuer le minotaure sans se perdre dans le labyrinthe, grâce au fil d’Ariane. Et comme pour Thésée, sa « mission » est facilitée par la rencontre d’une jeune fille, Anne, qui sera un double d’Ariane, lui fournissant un plan de la ville en sa qualité de vendeuse en librairie. Il déniche de surcroît un roman policier qui enrichira sa connaissance de la ville : « Le Meurtre de Bleston » écrit par J.C. Hamilton.

    A partir de ces quelques éléments disparates et de rencontres avec d’autres habitants de Bleston, le narrateur peut tenter de discerner les fractures de la ville avec ses deux cathédrales, sa référence au meurtrier Caïn, image de sa culpabilité supposée dans l’accident survenu à un ami, ses musées, ses restaurants, sa rivière aux eaux fétides, ses gares, sa foire ambulante et son atmosphère sinistre de ville humide ternie par la fumée. Au fur et à mesure de l’avancée de la rédaction, tous les éléments se renvoient mutuellement leurs reflets, les ramifications se multiplient, les personnages échangent leurs rôles plus ou moins imaginaires dans un vaste jeu de miroirs.

    Les aventures de Revel avec les divers personnages qu’il côtoie produiront des conclusions qui, pour le lecteur, questionnent encore une fois les mythes évoqués. Il s’agit finalement d’un grand et brillant exercice de style et de conception du roman, renouvelant le mode d’exposition selon des méthodes parfaitement maîtrisées.

     


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