• Dans ce récent roman de Patrick Modiano, le narrateur doute de sa mémoire. Les souvenirs qui lui viennent à l’esprit sont incertains, confus. Ils sont trop anciens pour lui permettre de retrouver des témoins. Le seul élément tangible auquel il peut se raccrocher est un carnet noir rempli de notes : des noms, des dates et de courts textes.

    A partir de ce carnet se reconstitue toute une époque de sa vie où il côtoyait un petit groupe de personnes dont il avait noté les noms. Ces gens avaient quelque chose à voir avec le Maroc. Certains logeaient à la Cité Universitaire du boulevard Jourdan à Paris ; d’autres dans des chambres d’hôtels. Ils se retrouvaient volontiers dans un café du boulevard Saint Michel, près des jardins du Luxembourg. Ces rencontres remémorées ravivent l’errance urbaine du narrateur, une cinquantaine d’années après les événements, dans de nombreux quartiers de Paris.

    Il avait alors entamé une liaison avec Dannie, l’une des membres du petit groupe qui un jour lui demanda : « Qu’est-ce que tu dirais si j’avais tué quelqu’un ? »

    Au fil des réflexions et des conversations du narrateur avec les autres membres du groupe, celui-ci apprit que Dannie aurait commis « quelque chose de grave ». 

    Ainsi commence à se développer une sorte de roman policier inversé où l’objet de la quête ne serait pas le coupable du crime, mais la nature du fait évoqué et ses circonstances.

    Une atmosphère de mystère plane donc sur l’ensemble du roman, rythmé par le mouvement de balancier entre le présent et le passé, avec une lenteur propre au tempo de la mémoire du narrateur, qui revit l’époque révolue dans un mélange de nostalgie et de dégoût perceptible.

    Le lecteur qui a traversé les années 1960 pourrait être tenté de faire le rapprochement avec l’affaire Ben Barka, quoiqu’aucun élément du roman ne contienne une allusion explicite à cet ancien crime, qui ne fut jamais élucidé. Une écriture précise et neutre constitue la marque de ce roman et lui confère toute la froideur propre à évoquer des événements crapuleux, qui ne furent jamais complètement résolus.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • En 1910, Sigmund Freud reçut un jeune Russe d’Odessa, Serguei Constantinovitch Pankejeff, qui souhaitait suivre une cure avec lui. L’analyse de Freud dura quatre ans, jusqu’en 1914.

    Ce jeune homme avait subi, selon les déclarations de Freud, un grave trouble névrotique dans ses années d’enfance. L’origine de cette névrose infantile remonterait au plus jeune âge de son patient, à un an et demi, lorsque le petit garçon, qui dormait habituellement dans la chambre de ses parents, aurait assisté à leur coït, le père pénétrant la mère par derrière.

    Freud énumère tous les avantages qu’il y a pour l’analyste à connaître les troubles survenus dans les toutes premières années du patient, et il procède à un récit particulièrement détaillé, qui demeure sans doute la description la plus complète et la plus précise qu’il ait donné d’une analyse.

    La scène initiale à laquelle assista l’enfant marqua toute sa vie et décida de ses orientations sexuelles. Dans les mois qui suivirent cette scène, le tout jeune garçon subit l’influence et la domination de sa sœur aînée, beaucoup plus dynamique que lui, et cette relation contribua encore à ses inhibitions. Ultérieurement, la vision d’une servante lavant le sol à genou, dans la position même où, encore bébé, il avait vu sa mère pénétrée par son père le troubla encore.

    Ce n’est que quelques années plus tard qu’il eut à plusieurs reprises des rêves d’angoisse au cours desquels il voyait six grands loups blancs, avec de longues queues fournies, semblables à celles de renards, qui accentuèrent encore ses troubles et provoquèrent chez lui une constipation chronique.

    Ultérieurement, Freud explique que la maladie du jeune Serguei Constantinovitch évolua vers une forme de névrose de contrainte. Il est remarquable de passer par toutes les étapes de l’exposé de Freud, au cours desquelles il semble au lecteur avoir fourni des associations particulièrement pertinentes, conservant une mémoire infaillible des déclarations de son patient et une logique implacable.

    Nous serions donc tenté de penser que cette analyse constitue un modèle du genre, décrite par le père de la psychanalyse. Or, la préface rédigée par Patrick J. Mahony contredit totalement cette interprétation.

    Ce dernier rappelle en effet que Serguei Pankejeff n’a pas retrouvé la santé immédiatement après la fin de son traitement par Freud, mais qu’il poursuivit son analyse avec de nombreux disciples du maître pendant une durée de plus de trois quarts de siècle.

    P. Mahony évoque «la complaisance caractérielle du patient qui constitua un obstacle majeur dans sa première analyse » par Freud.

    Freud aurait lui-même renforcé ce travers par l’utilisation de la suggestion. Ainsi se serait-il fourvoyé sur les résultats de son analyse, et les symptômes du patient auraient-ils été multipliés après le terme de sa thérapie, nécessitant la reprise de la cure avec d’autres intervenants.

    Naturellement, le lecteur curieux se gardera bien de lire la préface avant le texte de Freud : celui-ci constitue véritablement une formidable élaboration intellectuelle qu’il serait regrettable d’amoindrir par la lecture critique préalable de son contradicteur.

     

     

    Autres articles consacrés à Freud :

     

    Deuil et mélancolie – Sigmund Freud

     

    L’inquiétante étrangeté – Sigmund Freud

     

    Totem et tabou – Sigmund Freud

     

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires