• Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Paul Morand a souffert des conséquences de ses sympathies pétainistes. La relative mise à l’écart qu’il eut à subir a dû peser sur sa notoriété et sur le succès de son œuvre. Il convient néanmoins de reconnaître que son Homme pressé est un roman très bien mené, dans un style très fluide et qui vaut par sa justesse d’écriture. Portrait d’un individu qui bout d’impatience à observer la lenteur de ses contemporains, le roman démontre avec une grande acuité le caractère pénible que peut revêtir l’attitude d’un homme doué d’une forte énergie et d’un incontestable talent, mais dont le rythme trépidant épuise ses proches, y compris sa compagne, pourtant choyée, à un moment majeur de leur courte vie de couple.

    Indépendamment du tropisme de cet homme qui vit à cent à l’heure, le roman expose la vie originale d’un milieu bourgeois qui se complaît dans une existence étriquée, sous la férule d’un matriarcat pesant.

    A la fois étude psychologique et satire mordante, l’Homme pressé laisse une forte impression.

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  • Dans l’Apologie de Raymond Sebond, chapitre XII du livre II des Essais, Montaigne entreprend, à l’exemple de l’auteur dont il entame l’apologie, de justifier la religion catholique. Mais pour ce faire, il se lance dans une démonstration de la faiblesse de l’homme en comparaison avec les animaux, et même de son inanité totale. Pratiquement aucun cas de supériorité animale énoncé ne provient d’une observation directe, mais de la compilation de réflexions et d’anecdotes grappillées chez les auteurs latins. Ainsi commence-t-il sa thèse par une présentation abondante de remarques concluant à la supériorité des animaux, à l’encontre des positions défendues par la Bible et la religion chrétienne en général, qui situent l’homme parmi les « êtres supérieurs », à côté des anges, par opposition au règne animal. Il débute donc sa démonstration par un désaveu du parti qu’il prétend défendre : l’énumération peut paraître ennuyeuse, mais la logique de l’exposé ne manque pas d’intérêt.

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  • Berlin Alexanderplatz relate la vie difficile que mena Franz Biberkopf dans le centre de Berlin, le vieux quartier de misère qui entoure «l’Alex », dans les années 1920.

    Franz Biberkopf est un repris de justice, tout juste sorti de la prison de Berlin Tegel, où il a purgé une peine de quatre ans pour avoir tué sa compagne, Ida. Ce n’est donc pas un enfant de chœur. Il se promet néanmoins de devenir honnête, mais sans se rendre immédiatement compte que c’est une résolution particulièrement difficile à tenir dans le Berlin de ces années de crise. Il se résout à vendre des journaux, tout en étant le souteneur d’une jeune prostituée.

    Errant dans les ruelles, fréquentant les bistrots où il rencontre ses amis, presque aussi démunis que lui, ses nouvelles relations et la difficulté de l’existence le conduisent à côtoyer une bande de mauvais garçons qui, dans un premier temps l’emploient à participer à leurs trafics, avant que l’un d’entre eux le pousse à son drame personnel. Blessé, mutilé, mais doué d’une force morale peu commune, Franz Biberkopf fait face à ses difficultés et le lecteur le suit dans ses difficiles échappatoires.

    Tout ce roman, écrit sur un ton très libre, mélange savamment les anecdotes qui constituent la vie berlinoise de ces années noires de la naissance du nazisme. La diversité de la narration contribue largement à la féérie à laquelle assiste le lecteur. Cette forme ouverte et variée contribue à rapprocher Alfred Döblin d’autres grands romanciers de la même période qui ont su, comme lui, renouveler le genre littéraire pour faire ressortir le jaillissement de la vie au milieu de la pauvreté de ces années. C’est ainsi qu’il a souvent été comparé à Joyce, à Céline ou à Dos Passos qui, comme lui, ont inventé de nouvelles formes littéraires pour exposer le foisonnement de la vie de grandes agglomérations.

    A la fin du roman, lorsque Franz Biberkopf est de nouveau arrêté et interné, alors que lui-même est victime de la bande qui le harcèle, l’auteur emprunte un ton quasiment homérique pour montrer son héros affaibli surmontant la fatalité et la misère.

    Au total, il s’agit d’un très grand roman, qui occupe une place de choix dans toute la littérature allemande de la première moitié du XXème siècle.

     

    A lire aussi sur le Berlin des années 1990 : 

    Les eaux noires de la Spree

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  • Dans son recueil Métapsychologie, Freud s’est efforcé de fournir une base théorique à un certain nombre de notions en œuvre dans la psychanalyse : la pulsion, le refoulement, l’inconscient, la théorie du rêve. Le dernier essai du recueil, intitulé Deuil et mélancolie, se distingue dans cette série. Il ne s’agit pas d’approfondir un élément utilisé dans la psychanalyse mais d’expliquer un trouble dont Freud avait préalablement établi qu’il n’appartient pas aux névroses de transfert, seules ouvertes à la thérapie analytique dans ses débuts.

    Pour faciliter la compréhension de la mélancolie, phase aiguë de la psychose maniaco-dépressive, aujourd’hui rebaptisée trouble bipolaire, Freud, à la suite d’Abraham, établit une comparaison avec le deuil.

    Freud décèle dans les deux phénomènes un grand nombre de similitudes. Mais alors que le deuil est une réaction à une perte immédiatement identifiable, nous ne savons pas spontanément ce qui a provoqué la mélancolie chez un individu.

    Freud rappelle le caractère pénible des deux affections, la réaction à la perte d’une personne aimée pour le deuil, et « une dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité et la diminution du sentiment d’estime de soi qui se manifeste en des auto-reproches et des auto-injures et va jusqu’à l’attente délirante du châtiment. »

    La principale distinction entre les deux états est l’absence de trouble du sentiment d’estime de soi dans le tableau du deuil. Le deuil a normalement une durée limitée pendant laquelle son travail consiste à « retirer toute la libido des liens qui la retiennent » à l’objet d’amour disparu, alors que la mélancolie peut aussi être considérée comme une perte, mais d’un objet inconnu. Ce qui est donc le plus caractéristique dans la mélancolie, c’est la diminution de l’estime de soi. Le malade se rabaisse et Freud parle de  « la défaite de la pulsion qui oblige tout vivant à tenir bon à la vie. »

    Et Freud reconnaît la justesse de ces appréciations : « le malade ne fait que saisir la vérité avec plus d’acuité que d’autres personnes qui ne sont pas mélancoliques. Lorsque, dans son autocritique exacerbée, il se décrit comme mesquin, égoïste, insincère, incapable d’indépendance, comme un homme dont tous les efforts ne tendaient qu’à cacher les faiblesses de sa nature, il pourrait bien, selon nous, s’être passablement approché de la connaissance de soi, et la question  que nous nous posions, c’est de savoir pourquoi l’on doit commencer par tomber malade pour avoir accès à une telle vérité. »

    Freud reconnaît que, comme le deuil, la mélancolie est la réaction à une perte, mais une perte concernant le moi du malade. En réalité, l’analyse montre que les accusations portées contre soi-même par le malade sont le plus souvent injustes, alors qu’elles peuvent très bien être appliquées à une autre personne que le malade aime, ou a aimée.

    Il apparaît que le mélancolique a intériorisé le moi si insatisfaisant de la personne aimée. Toutes ses plaintes, en pratique, concernent l’autre dont il a absorbé le moi. Ainsi le conflit qui pouvait exister avec la personne aimée s’est logé dans le moi du sujet qui opère une véritable « scission entre la critique du moi et le moi modifié par identification. »

    Il existe donc comme préalable au déclenchement de la mélancolie un choix d’objet d’amour qui s’est produit sur une base narcissique : le sujet, au départ, s’identifiait aisément à l’objet de son amour et la découverte progressive de toutes les insuffisances de ce dernier a été ressentie comme une déficience personnelle.

    En réaction, les tendances sadiques que peut faire naître chez le mélancolique le caractère profondément insatisfaisant de l’objet d’amour se retournent contre le sujet mélancolique lui-même, qui en a absorbé toutes les tares dans son moi narcissique.

    Freud reconnaissait dans son essai que les conclusions auxquelles il aboutissait n’étaient guère étayées par la pratique analytique, ce qui est compréhensible du fait de l’exclusion de ce type d’affection des premières thérapies.

    La pratique, par la suite, a beaucoup évolué, prenant en charge de nombreux malades mélancoliques avec des résultats divers, comme l’a montré en particulier le cas extrême de Louis Althusser, longuement analysé par René Diatkine avant de commettre le meurtre de sa compagne.   

    De nos jours où la psychanalyse est de plus en plus décriée par ses opposants, ces malades sont largement traités par des antidépresseurs au cours d’internements psychiatriques : il ne semble pas que ces méthodes fassent beaucoup progresser la connaissance.

     

     

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