• Antoine Bloyé est né en 1864 à Pontchâteau, à la limite de la Brière, ce vaste marais à l’embouchure de la Loire. Issu d’un milieu modeste d’ouvriers, il effectue de bonnes études jusqu’aux Arts et Métiers, qui le conduiront à travailler dans les chemins de fer, d’abord comme technicien, puis à force de ténacité et de compétence, à des postes de responsabilité.

    Habile à diriger les ouvriers, estimé par ses chefs et ses subordonnés, il connut dans sa carrière une progression durable, qui suscita en lui des sentiments contradictoires, entre la fierté de sa réussite et la mauvaise conscience d’avoir trahi, à certaines occasions, sa classe sociale d’origine.

    De même, sur le plan personnel, son mariage avec Anne, une jeune femme modeste, ne suscita pas la passion chez cet homme, mais il resta toujours attaché à son épouse, depuis la naissance de leur petite fille, malheureusement affligée d’une maladie incurable et, plus tard, il eut un fils avec lequel il noua une relation forte durant l’enfance de celui-ci.

    Cependant, la grande affaire de sa vie resta l’activité professionnelle et son ascension dans la hiérarchie des chemins de fer provoqua un trouble par rapport à ses opinions initiales : avec le temps, il fut perçu par les ouvriers sous sa responsabilité comme un cadre, et même un directeur, ce qui l’éloigna de ses positions initiales, même s’il s’efforçait de rester juste dans ses décisions.

    Dans les derniers temps de son activité, Antoine Bloyé finit par ressentir de plus en plus lourdement sa trahison de classe comme un défaut majeur de sa carrière, et à en souffrir intérieurement, ce qui contribue à rendre le personnage attachant. Il ressentit même le luxe relatif dont il jouissait à la fin de sa carrière comme un privilège acquis au détriment de la classe ouvrière.

    Toute cette évolution est décrite dans une langue très neutre qui rend la lecture de cet ouvrage très agréable.

    Il est particulièrement intéressant de s’imprégner des positions de Paul Nizan, le camarade de Sartre au Lycée Henri IV et à l’Ecole Normale Supérieure, qui adhéra au Parti Communiste lorsqu’il était encore étudiant et eut le courage de rendre sa carte au Parti au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Les romans de Gombrowicz accusent pratiquement tous un caractère satirique plus ou moins appuyé. Trans-Atlantique est certainement l’un des plus marqués par cette tendance.

    Au départ tiré de la propre expérience de l’auteur : son voyage en bateau de Pologne en Argentine à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale précédant son long séjour dans ce pays, Trans-Atlantique se caractérise à la fois par une forme littéraire volontiers archaïque et un débordement d’éléments provocateurs, tels que Gombrowicz excellait déjà à mettre en œuvre dans ses précédents romans.

    A son arrivée à Buenos Aires, Gombrowicz est accueilli par les membres de la Légation Polonaise en fonction dans la capitale argentine. Cette étape débute la satire de son ouvrage, par la dérision des travers bureaucratiques de ses nouveaux collègues. A partir de là, le roman bifurque vers une sorte d’épopée grotesque, provoquée par la rencontre d’un puto – pédéraste très riche, acteur d’un duel hors de temps et de règles contre un autre immigré polonais.

    A cette querelle se greffe la présence des fils des deux protagonistes du duel, qui cristalliseront les relations inattendues entre les adversaires, alors que les collègues de bureau reviennent en force dans la narration en tant qu’auteurs de brutalités d’un niveau à peine imaginable.

    Toutes ces péripéties rendent la lecture pleine d’imprévu face aux rebondissements de l’histoire, le tout sous une forme qui demeure admirablement archaïque, même dans la traduction.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • A quinze ans, à l’occasion d’un exposé qui m’avait été demandé, j’exprimais l’ennui relatif que m’avait causé la lecture de La Chartreuse de Parme, ce qui procura un certain dépit à mon professeur de français, Mademoiselle P.

    La relecture que je viens d’achever ne m’a pas occasionné de tels sentiments, même si les querelles multiples des courtisans du Prince de Parme me paraissent toujours aussi longues.

    Comme le notait justement Julien Gracq, dans La Chartreuse de Parme tout est mouvement et certaines scènes sont particulièrement réussies, comme le passage de Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo, où il apparaît complètement égaré, absolument incapable de participer aux combats. Dans ces circonstances, il lui fallut le secours d’une brave cantinière pour éviter de subir un mauvais sort. Le lecteur comprend vite que le héros idéaliste manque quelque peu du sens des réalités à cette occasion. Il s'agît assurément d'un bon exemple du sens de l'humour de Stendhal.

    La suite du roman voit cet antihéros alterner peines et joies dans un contexte politique de micro Etats italiens, où chaque responsable d’une fonction s’imaginerait volontiers doté de la sagacité d’un Machiavel.

    Hélas, à l’exception d’un grand ministre, on y trouve plutôt des individus médiocres, qui recherchent activement les faveurs du Prince, sans accorder de grands scrupules à l’exercice de leur mission.

    Dans l’ensemble, la description de la vie de cette cour et des avatars qui touchent Fabrice del Dongo, de ses amours avec sa tante la superbe Duchesse Sanseverina, et avec la jeune Clélia Conti, la fille du directeur de la prison où il est enfermé, à son accession au poste de coadjuteur de l’archevêque de Parme, auquel il est destiné à succéder – un bien grand honneur accordé à un jeune homme dont la vie n’est pas un modèle de vertu - , permettent au lecteur de se bâtir une vision colorée de cette politique des Etats morcelés de l’ancienne Italie, si bien analysée par Machiavel quelques siècles plus tôt.

     

    Autres articles consacrés à Stendhal :

    Vie de Henry Brulard – Stendhal

    Lamiel – Stendhal

    Armance – Stendhal

    Partager via Gmail

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires