• Cahier d’un retour au pays natal est un long poème, hurlant à la face du monde l’ignominie faite aux hommes et aux femmes noirs, dans les Antilles bien sûr, mais aussi sur un plan général, aux Noirs originaires d’Afrique, quel que soit leur lieu de résidence.

    Vaste et forte protestation, il s’agît d’un formidable texte rédigé en vers libres, dans une langue admirable d’invention. Ce cahier recense tout le poids de la misère de l’homme humilié, maltraité, méprisé, châtié et trop souvent mis à mort. Il fait état des circonstances de la maltraitance dans le quotidien, par pure routine, sous le poids d’une habitude enracinée dans l’inconscient du colonisateur.

    Pour le lecteur actuel, il s’agit aujourd’hui d’un thème connu, d’une culpabilité admise dans les milieux éclairés, mais le choc provient de la beauté du texte, qu’André Breton, dans la belle préface qu’il rédigea en 1947, rapproche de la poésie de Lautréamont. Pour ma part, j’y vois aussi, dans la forme et dans la puissance, une résurgence de l’écriture du Rimbaud d’une Saison en enfer. La violence du ton, la puissance des images établissent une parenté lointaine entre les deux poètes.

    Aimé Césaire, ultérieurement, formalisa sa pensée sur l’ignominie de la traite des Noirs et de la colonisation dans son Discours sur le colonialisme, mais dans le Cahier d’un retour au pays natal, c’est le cri de douleur qui éclate à la face du monde.

    C’est un texte qu’il faut aborder directement, sans préparation, en se laissant transporter par son lyrisme, par sa révolte qui éclate à chaque page, et envahir par l’abomination d’un monde qui nie l’humanité d’une large part de ses habitants.

     

     

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    Le Discours sur le colonialisme - Aimé Césaire

     

    Une saison en enfer – Arthur Rimbaud

     

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  • Jean Genet relate son séjour à l’abbaye de Fontevrault, transformée en prison au début du siècle dernier – séjour que sa biographie n’atteste pas, mais le prestige de Fontevrault, où les détenus côtoient les gisants des Plantagenet, et la proximité de la colonie agricole de Mettray, où les jeunes délinquants, dont Genet, étaient envoyés après avoir commis un premier délit, conféraient à cette prison une aura particulière à laquelle Genet était particulièrement sensible.

    Avant même son arrivée à Fontevrault, il savait qu’Harcamone, qu’il avait connu à Mettray, avait été condamné à mort pour le meurtre d’une fillette et y attendait son exécution, ce qui était, dans l’échelle de valeur des détenus, le summum du parcours que ces délinquants pouvaient atteindre. Genet y ressent naturellement le drame de son ancien camarade, tout en affirmant la gloire d’une telle fin.

    A Fontevrault, Genet retrouve un certain nombre de ses anciens compagnons de Mettray et tout son récit, rédigé dans une langue étonnamment poétique, est constitué d’une alternance des motifs de Mettray et de la vie interne de Fontevrault, où pèse la dureté des gâfes et la rouerie des marles, que viennent compenser les idylles qui se nouent et se dénouent entre détenus. Genet rapporte de façon détaillée son attirance précoce pour les garçons, favorisée par sa détention à Mettray d’abord, et qu’il renouvelle à Fontevrault, montrant toutes les manœuvres pratiquées pour déjouer la surveillance des gardiens, et toutes les joies ou les souffrances causées par les relations heureuses ou contrariées.

    La centrale de Fontevrault apparaît dans ce contexte comme un durcissement extrême de la douleur infligée aux détenus par rapport aux conditions, malgré tout plus modérées, de Mettray. Des amours brisées, des jalousies entre détenus surgissent. Des tentatives d’évasion débouchent parfois sur des résultats catastrophiques.

    Il apparaît clairement que tout ce récit est nourri de la longue expérience de l’univers carcéral qu’avait accumulée Jean Genet. Néanmoins, c’est l’imagination poétique et le fantasme seuls qui accompagnent la marche à la mort d’Harcamone, dans une veine fantastique qui la métamorphose en miracle de la rose.

    Au final, aussi dérangeant soit-il, il s’agit d’un très grand livre.

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  • Un jeune homme a été frappé d’amnésie. Il a perdu son identité, sa compagne, ses souvenirs et, dans ce trou noir, il a eu la chance de rencontrer le fondateur d’une agence de police privée, qui lui procura un emploi et lui permit de retrouver une identité d’emprunt, sous le nom de Guy Roland.

    Au départ de son bienfaiteur, il se met à rechercher tout son passé disparu. Formé aux enquêtes, il recherche les témoins de sa jeunesse, qui pourraient lui fournir des éléments sur sa personnalité antérieure.

    C’est ainsi qu’il rencontre à Paris toute une série d’individus d’origines variées, susceptibles de lui rappeler des noms de personnes connues autrefois et des lieux de rencontre. Dans cette galerie inattendue figurent des gens de toutes origines, - Russes, Américains, Italiens, Latino-Américains… Il parcourt les rues de Paris, avec une certaine prédilection pour les beaux quartiers : VIIIème, XVIème et XVIIème arrondissements, rendant sa quête pittoresque, entre bars et chambres de misère.

    Petit à petit, il tente de reconstituer une sorte de puzzle, de retrouver des noms, des lieux qu’il a pu fréquenter, des gens qu’il a perdus de vue.

    Des bribes de mémoire lui reviennent à force de patience. Il finit par se rappeler le lieu et les circonstances de la séparation involontaire de sa compagne. Dans sa galerie de témoins figurent quelques personnages louches. La mémoire de la guerre de 1939-1945 revient, avec l’occupation, les tentatives de fuite, les faux amis.

    Le charme du livre réside pour une bonne part dans son écriture simple et descriptive, pour évoquer des lieux au prestige suranné, qui constituent souvent aussi « mon Paris ». Le lecteur avance dans cette recherche sous le mystère d’une sorte de roman policier. Après chaque nouvelle rencontre de Guy Roland, il a l’impression que l’enquête repart dans une nouvelle direction, jusqu’à la fin du livre où le narrateur lui apprend fortuitement qu’il doit retourner à son ancienne adresse à Rome, rue des Boutiques Obscures, 2.

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  • Lord Jim est un roman qui met en scène la responsabilité, le manquement aux obligations, le sentiment de culpabilité et le rachat.

     

    Chacun sait que sur un bateau, en cas de catastrophe, le dernier à quitter le navire est le capitaine. Cette assertion semble aller de soi : le capitaine dirige la navigation, commande tout l’équipage et doit veiller à la sécurité des passagers et de l’équipage. En cas de difficulté, il doit donc rechercher tous les moyens d’éviter les avaries et le naufrage, et fournir tous les efforts possibles pour sauver la totalité des passagers, sans se préoccuper de son propre sort avant d’avoir réglé l’ensemble de ses obligations.

    Après être passé par l’école de marine, le jeune Jim navigua : « il connut la monotonie envoûtante de l’existence entre ciel et mer ».

    Un jour, après avoir déjà subi quelques désagréments au cours de ses différentes traversées, il « prit un embarquement à bord du Patna », vieux vapeur en mauvais état commandé par un Allemand, en qualité de second.

    Huit cents pèlerins embarquèrent sur le Patna et se répandirent dans les moindres recoins du bateau, rapidement repeint pour la traversée. Le vapeur partit vers la mer Rouge. Les relations entre le capitaine et son équipage étaient acerbes, les hommes étant soumis à un régime très strict.

    Au cours de la traversée, le bateau heurta une épave qui perça la coque. Dans une grande confusion, l’inquiétude de l’équipage s’accrut. Le capitaine, au mépris de tous ses devoirs, chercha à sauver sa peau en abandonnant les passagers et la majorité de l’équipage. Un canot fut mis à la mer. Jim était hostile aux décisions du capitaine mais, dans un moment d’effarement, il commit l’irréparable en sautant dans le canot.

    Contre toute attente, le bateau ne coula pas et gagna un port, tracté par un vaisseau militaire. Un tribunal jugea les membres de l’équipage défaillants.

    Un témoin extérieur, le capitaine Marlowe, qui assistait au procès, narre toute l’aventure : la condamnation de Jim, parmi les coupables d’abandon du navire, ses tentatives de reclassement, sa honte, son exil dans un îlot perdu de l’archipel malais, sa prise de responsabilité dans les affaires du pays.

    A travers ce récit très dur, minutieusement conté, Joseph Conrad fait prendre conscience au lecteur d’une véritable éthique de la responsabilité tout en montrant que l’important pour un homme est de savoir rester droit, même sans aucune certitude de succès dans son action.

    Le quotidien des marins, que Conrad était mieux placé que quiconque pour en exposer les rigueurs, n’est qu’un moyen d’exposer une situation en apparence inextricable et d’en déduire toutes les conséquences.

    Derrière l’atmosphère de la marine surgit l’exotisme de l’extrême orient avec sa culture spécifique, qui sert de contrepoint à l’enfermement du bateau, tout en démontrant que les questions humaines les plus difficiles à régler se reproduisent, quel que soit le milieu où elles apparaissent.

     


     

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    Dostoïevski et Conrad

     

    Le nègre du « Narcisse » - Joseph Conrad

     

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  • Yukio Mishima compose l’un des plus beaux portraits de frustré de toute la littérature. Le narrateur du Pavillon d’Or, Mizoguchi, est le fils d’un prêtre bouddhiste. Alors qu’il était très jeune, son père commença à lui parler du Pavillon d’Or, l’un des principaux chefs d’œuvre de l’architecture religieuse japonaise, sis à Kyoto, et l’enfant, devenu adolescent, en conserva une vision éblouie.

    Ce qui perturba très tôt Mizoguchi, c’est le bégaiement qui l’affligeait. Au collège déjà, ses camarades se moquaient de lui à cause de ce défaut d’élocution. Il ressentait cette infirmité, pourtant relativement mineure, comme un obstacle entre lui et le monde extérieur.

    En réaction à ce complexe, Mizoguchi développa une volonté de puissance qui reposait d’une part sur l’histoire des tyrans et d’autre part sur l’activité des artistes de génie. Il se construisit donc un imaginaire destiné à compenser les déficiences de son élocution, qu’il ressentait comme une tare rédhibitoire.

    Tout en se destinant à devenir prêtre, à l’exemple de son père, à l’aube de son adolescence, il tomba amoureux d’une jeune voisine nommée Uiko. Provoquant une rencontre plutôt brutale avec celle-ci, il se retrouva complètement effaré lorsque Uiko apparût et il ne put lui adresser une parole. Par la suite, ses relations avec les femmes furent toujours marquées par de fortes inhibitions.

    Entré au temple Rokuonji, dont dépendait le Pavillon d’Or, sous la protection du Prieur, ami de son père, Mizugoshi put s’adonner à son admiration sans partage du célèbre Pavillon. Comme le début de l’action du roman coïncide avec les derniers mois de la Deuxième Guerre Mondiale, le risque de bombardement et de destruction des trésors de Kyoto était particulièrement redouté.

    Au temple, la formation suivie par Mizugoshi contribua à renforcer sa tendance au rêve. La rencontre de camarades l’éloigna momentanément de ses complexes mais les compensations qu’il pouvait y trouver pouvaient le pousser à des actes répréhensibles, qui finirent par rebuter les camarades et les enseignants les mieux intentionnés.

    En dépit d’une progression inéluctable vers une catastrophe, ce roman nous fait pénétrer dans la culture et l’imaginaire japonais de façon à la fois brutale et subtile, avec une intensité qui se maintient jusqu’à sa conclusion.

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