• Une femme d’âge moyen loue une maison isolée dans le Pays de Galles. Arrivée en voiture des Pays-Bas après une traversée houleuse de la Mer du Nord, elle découvre progressivement son nouvel environnement, la dizaine d’oies dont elle a la garde, les blaireaux qui errent aux alentours. Elle fait connaissance avec les commerçants de la petite ville voisine, qui la prennent généralement pour une Allemande.

    Le roman narre son adaptation à son nouveau milieu, la précarité de son existence présente. Il mentionne la thèse que la femme a entamée au sujet de l’œuvre de la poétesse américaine Emily Dickinson.

    Un jour, un adolescent passe à côté de la maison. Une relation se noue ; l’adolescent reste.

    Parallèlement, peu à peu se dévoile le passé de cette femme, les tensions familiales qu’elle a pu connaître. Son mari, demeuré aux Pays-Bas, apparaît.

    Tout l’intérêt et le charme de ce roman résident dans le dévoilement progressif des nœuds de la vie de cette femme au travers de ses réflexions personnelles, de ses tentatives, de ses incertitudes, en même temps qu’apparaissent les timides démarches de son mari en vue de retrouver sa trace.

    Roman des ruptures de la vie, de la délicate cohabitation entre les générations, de la longue patience que requiert l’élaboration d’une thèse universitaire, le détour embarque le lecteur dans une aventure modeste, toute en demi-teinte, où les révélations parviennent dans le désordre, au fil d’un inconscient troublé.

    Ce roman au rythme lent requiert une attention minutieuse pour bien se pénétrer des multiples fils qui finissent par se nouer à l’écart du bruit et de la fureur du monde.

    Il s’agit d’un très bel exercice de narration.

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  • En articulant son livre sur la vie de trois femmes exemplaires : Alexandra Fedorovna, la dernière tsarine, Inès Armand, l’égérie française de Lénine, et Catherine, une espionne qui sut séduire Michel, un aristocrate russe, ainsi que Bullitt, un diplomate américain, Vladimir Fédorovski paraît conduire ses lecteurs vers un exposé des luttes politiques en Russie.

    Cependant, s’il est exact qu’il mentionne les grandes articulations de la vie politique au cours du XXème siècle, en insistant sur la volonté du dernier Tsar, Nicolas II, d’assumer dignement sa mission, assuré du soutien infaillible de son épouse Alexandra Fedorovna, petite-fille de la reine Victoria d’Angleterre, en soulignant l’habileté de Lénine à retourner en Russie au moment adéquat pour lancer la révolution bolchévique, et la brutalité de Staline durant son long règne, il n’oublie pas son sujet, en présentant les grands romanciers mystiques que furent Dostoïevski, Gogol et Tolstoï, en conduisant ses lecteurs à l’intérieur de la Russie profonde à la recherche de ses chamans guérisseurs et de ses moines qui ont vécu respectivement dans des isbas et des monastères forteresses.

    L’auteur insiste sur le rôle des inquiétants manipulateurs que pouvaient être Raspoutine, exerçant une influence dévastatrice sur le couple impérial, avant d’être assassiné par le prince Ioussoupov, ou Gurdjief, qui sut attirer de nombreux patients à ses séances de soins ésotériques, à commencer par Catherine, la belle espionne.

     

    Ainsi, ce livre, d’une lecture très agréable, nous fait survoler de nombreux aspects insolites de la Russie éternelle, montrant le côté irrationnel qui souvent inspira ses personnalités les plus marquantes. Il peut être lu comme une introduction à une connaissance plus précise de ce pays fascinant, que le lecteur pourra parfaire en voyageant en Russie, en lisant les grands auteurs classiques russes et en écoutant la musique de ses compositeurs les plus renommés.

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  • Au lendemain d’un terrible conflit comme la Première Guerre Mondiale, les survivants ressentent couramment le besoin de se distraire pour oublier les privations et les blessures du passé. C’était le cas au début des années 1920, lorsqu’un certain nombre d’Américains choisirent de venir vivre à Paris. Ceux-ci se recrutaient surtout dans les milieux artistiques ou dans le journalisme. C’est ainsi qu’affluèrent des écrivains américains en devenir ou déjà consacrés.

    Ils habitaient de modestes logements dans des quartiers alors populaires, comme le Quartier Latin. Ernest Hemingway est celui qui popularisa cette époque et en restitua le souvenir dans Paris est une fête. Il laisse entendre que son récit, rédigé dans les dernières années de sa vie, à partir de notes d’époque retrouvées tardivement, pourrait être considéré comme une œuvre d’imagination. Cela indique, à tout le moins, que les éléments révélés par Hemingway sont le fruit d’une vision personnelle, sans doute infléchie par les quelques trente années écoulées depuis les événements qu’ils relatent.

    L’atmosphère du Quartier Latin restituée par Hemingway corrobore largement d’autres livres de l’époque : je pense notamment aux romans de Léo Malet. Ce qui inspire particulièrement Hemingway, c’est la fréquentation des cafés, où il écrivait ses nouvelles en consommant du vin ou du whisky. Son lieu de prédilection était la Closerie des Lilas, dont les tarifs devaient être beaucoup plus modestes qu’aujourd’hui.

    Ses portraits des « Américains de Paris » sont volontiers acides. Gertrude Stein, à qui il s’était présenté avec sa femme, fut sa première amie, dont il admirait le studio décoré d’œuvres contemporaines qu’elle partageait avec sa compagne. Elle lui donna quelques conseils sur sa manière d’écrire, en jugeant inaccrochables certains de ses textes comme Là-haut dans le Michigan. Il fut légèrement blessé lorsqu’elle lui révéla, après un incident avec un mécanicien, qu’il appartenait, comme tous les jeunes gens qui avaient fait la guerre, à une génération perdue. L’expression, proférée par le patron du mécanicien, a fait école pour désigner toute cette génération d’écrivains américains. Par la suite, ils se brouillèrent. En revanche, ses relations avec Sylvia Beach, la gérante de la librairie « Shakespeare and Company » restèrent toujours cordiales.

    Le plus long des portraits est consacré à Scott Fitzgerald, son aîné, « qui ressemblait alors à un petit garçon avec un visage mi-beau mi-joli. » Hemingway semblait intrigué par son confrère, dont il notait certaines caractéristiques physiques et d’apparentes crises visibles dans sa physionomie. Il effectua avec lui un voyage à Lyon, au cours duquel Scott Fitzgerald rata le train, voyage qui se révéla très frustrant en raison du caractère maladif de son compagnon, arrivé avec un jour de retard, et d’une crise qui le prit durant son séjour.

    Hemingway avait tendance à sous-estimer Scott Fitzgerald jusqu’à ce qu’il lût Gatsby le Magnifique, dont la qualité l’impressionna, alors que lui-même n’avait encore écrit aucun roman. A la fin, c’est envers Zelda que Hemingway se montre le plus critique : il prit clairement parti contre elle, la jugeant folle.

    Ainsi le récit, insensiblement, de la fête gagne la folie et la désillusion, malgré  la description des semaines consacrées au ski en Autriche, alors que les relations avec sa femme Hadley, après qu’elle eut perdu ses manuscrits, se détérioraient. Hemingway peine à cacher la mélancolie qui s’emparait de lui. Un an après avoir achevé son récit, il se tira une balle dans la bouche.

     

    Cette œuvre laisse finalement une impression mitigée, Hemingway peinant dès le début à faire ressortir une franche atmosphère de fête dans le Paris appauvri de l’après-guerre et sombrant au fil des rencontres et des événements dans une dépression à peine dissimulée. La vérité sur sa personnalité est sans doute contenue dans cette alternance de joie et de tristesse.


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  • Texaco est une épopée racontée par une femme, Marie-Sophie Laborieux, fille d’Esternome et d’Idoménée. Son sermon couvre une période d’un siècle et demi, au cours de laquelle les Martiniquais conquirent le statut de citoyen français, alors qu’à ses débuts, la majorité noire originaire d’Afrique vivait une forme d’esclavage brutal, sous la férule des békés, ces créoles d’origine européenne qui ont réussi à concentrer l’essentiel des richesses entre leurs mains.

    Le récit prend la forme d’un collage de textes divers, abordant en majeure la vie de la famille Laborieux, débutant par le père de Marie-Sophie, qui évoquait dans ses révélations à sa fille ses épreuves dans la société esclavagiste et ses amours tumultueuses avec sa maîtresse Ninon, qu’il perdit au cours de l’éruption de la Montagne Pelée, suivies de sa rencontre avec Idoménée, avant de se concentrer sur les aventures vécues par Marie-Sophie. Cette narration dominante est entrecoupée d’extraits des cahiers de Marie-Sophie Laborieux, évoquant généralement le mode de vie des habitants, et parfois des notes de l’urbaniste chargé par l’administration de raser le quartier Texaco, du nom de la compagnie pétrolière qui construisit de grands réservoirs d’hydrocarbures à la périphérie de Fort de France, autour desquels un vaste bidonville s’agglutina spontanément, du fait de la rage de survivre de la masse de la population issue de l’esclavage.

    Ce roman, qui relate un long et laborieux soulèvement vers la liberté et la dignité d’une population ignoblement maltraitée, se caractérise par une langue très imagée, parsemée d’expressions créoles, par des bribes de dialogues très vifs. Il est traversé par quelques grandes figures historiques, au premier rang desquelles Aimé Césaire, encadrées par les grands noms de Schoelcher et de de Gaulle.

     

    Une grande émotion naît de l’évocation des étapes tragiques de l’avancée vers la liberté et la démocratie, en même temps qu’un plaisir de lecture intense procuré par toutes les formules inattendues, insérées dans un texte d’une très haute qualité littéraire. Il faut dire que pour ces descendants de parias restés pauvres, l’image de la France est toujours associée à celle de la Révolution Française et que Marie-Sophie Laborieux, au milieu de toutes ses aventures, a su préserver ses exemplaires lus et relus de Rabelais, Montaigne et autres grands classiques de la littérature.

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  • Aurélia est le surnom attribué par Gérard de Nerval à Jenny Colon, son amour déçu dont il ne s’est jamais consolé, associée à Sophie Dauwes, une autre de ses égéries. Au lendemain du profond chagrin causé par la rupture avec Jenny, Gérard eut une grave crise psychique suivie, deux ans plus tard, par son voyage en orient qui lui procura une rémission.

    La souffrance causée par l’abandon qu'il a subi des femmes aimées, pour cet homme qui ne connut pas sa mère, est un thème permanent.

    Aurélia est le récit de cette longue maladie, sans doute entamé depuis la perte de son amour, jusqu’à son séjour dans la clinique du docteur Blanche à Passy en 1853-1854. Cette période se caractérise par ce que Nerval appela « l’épanchement du songe dans la vie réelle » et son récit relate scrupuleusement certains de ses rêves au caractère fantastique, marqués par les mythologies orientales reliées au christianisme, dans une tentative de syncrétisme cher à Gérard. Pour Gérard, « le rêve est une seconde vie ».

    La précision du récit des visions mélangeant toutes sortes de divinités est étonnante, et les détails fournis sur le déroulement quotidien des crises démontrent l’effet profond et durable qu’elles eurent sur le malade, ainsi que sa lucidité.

    Nous ne pouvons manquer d’être surpris de la beauté du texte par lequel l’auteur relate sa propre démence. Bien avant la naissance de la psychanalyse, Nerval prit conscience de l’importance des rêves dans la santé mentale des individus et sut traduire les visions qu’ils contiennent sous une forme littéraire admirable.

    Pendant ses périodes de rémission, on voit Nerval hanter les sites qu’il affectionnait au cours de ses errances nocturnes parisiennes, sur la butte Montmartre ou dans le quartier des Halles, errer dans les faubourgs de Paris, ou bien rechercher les lieux de fête au cours de ses voyages vers l’Autriche ou l’Allemagne.

     

    Dans la seconde partie, toutes les obsessions de Gérard sur les mythes et les religions orientales ressortent en visions mystiques et cosmogoniques : «les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le chœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs ! … Rien n’est indifférent, rien n’est impuissant dans l’univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver ! » Les esprits maléfiques « hostiles et tyranniques » dominent. 

     

     

     

     

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    Gérard de Nerval, le songe et l’écriture 

    Le Voyage en Orient – Gérard de Nerval

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