• L’auteur raconte le quotidien de son séjour de six mois au bord du lac Baïkal, de février à juillet, dans des conditions atmosphériques extrêmes avec, en hiver, des températures comprises entre  -30 ° C et  -35° C.

    Supporter quotidiennement une telle température relève quasiment d’un pari. Il faut se soumettre au climat, à la solitude : le voisin le plus proche occupe une cabane en bois identique à celle de l’auteur, située à une quinzaine de kilomètres, et il n’y a évidemment aucun moyen de transport disponible, hormis la marche à pied ou le patinage sur le lac.

    L’auteur raconte dans le détail l’organisation de son séjour, les tâches quotidiennes à effectuer : bois à couper pour se chauffer, pêche pour se nourrir, lecture, méditation, exploration des environs dans cette nature hostile, avec pour uniques compagnons deux petits chiens.

    La nature est superbe : l’immense étendue du lac, gelé tout l’hiver, sur lequel patiner devient un exercice salutaire, la forêt tout autour, où se trouvent les ressources indispensables, bois et fruits au printemps, produits de la chasse à l’occasion...

    Les rencontres sont rares et généralement bien arrosées de vodka. Il est nécessaire de parler russe : les quelques voisins de passage n’ont ordinairement pas  appris les langues occidentales. Les nombreux livres emportés ont permis de meubler le temps et, éventuellement, de renforcer la détermination à poursuivre ce séjour, malgré les incidents et les moments de tristesse qui ont pu survenir. Une forme de sagesse est recherchée au cours de cette longue retraite : échapper temporairement à la société de consommation, éprouver sa capacité à supporter la solitude, lutter pour survivre, se protéger des quelques dangers provenant de la nature : éboulements, gel, intempéries, … sans tomber dans la dépression.

    Au total, il s’agît d’une expérience peu ordinaire, qui nous ramène à des récits plus anciens, que l’on se réfère à Jack London, dans le grand nord américain ou, dans une veine moins bucolique, au séjour de Dostoïevski dans « la maison des morts » ou de Evguénia Guinzbourg dans le goulag de la Kolima.

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  • Le 3 juin 1835, le jeune Pierre Rivière, âgé de vingt ans, accomplit le triple meurtre mentionné dans le titre, à Aunay, un village du Calvados.

    En 1973, une équipe de chercheurs du Collège de France a constitué un dossier sur cette affaire emblématique, sous l’impulsion de Michel Foucault. La pièce maîtresse de ce dossier est le mémoire rédigé par Pierre Rivière lui-même, en prison, pour tenter d’expliquer son acte. Ce mémoire est écrit dans une très belle langue, même si l’orthographe est incertaine, et il rend compte de façon méticuleuse de la vie de la famille Rivière. Le lecteur pénètre très aisément dans les rapports de cette famille paysanne, dont la mère abuse de façon insupportable de la patience et de la gentillesse de son mari, refusant de vivre au domicile conjugal et le forçant à payer toutes les dettes qu’elle laisse derrière elle.

    Le jeune Pierre vouait un amour filial indéfectible à son père et il avoua que c’était pour délivrer celui-ci de l’emprise de cette femme impossible, qui lui gâchait toute sa vie, qu’il s’était résolu à ce triple meurtre.

    Outre les tensions de la société rurale française au début de la révolution industrielle, cette affaire illustre très bien la profonde évolution qu’a subie la procédure judiciaire au cours de ces années du XIXème siècle, tiraillée entre la volonté des magistrats de châtier les coupables et la prétention des psychiatres à démontrer l’aliénation de nombreux assassins, voulant leur épargner ainsi la peine capitale.

    Il faut lire le mémoire de Pierre Rivière très attentivement et le mettre en parallèle avec le dossier constitué par les rapports des experts, les pièces du procès et les articles parus dans la presse à l’époque de l’affaire.

    Une telle affaire, qui date de près de 180 ans, nous aide à mettre en perspective les soubresauts que la justice peut encore connaître de nos jours, dans l’incertaine évaluation des circonstances atténuantes et dans l’appréciation ambiguë des preuves que peut émettre un jury d’assises.

    Elle met en lumière aussi le laxisme que peut exercer la police dans la recherche d’un coupable qui, en l’occurrence, ne niait rien et ne se cachait même pas.

    Les analyses croisées des différents participants à l’élaboration de ce dossier enrichissent la perception du lecteur, sans atténuer l’importance majeure du mémoire du principal protagoniste de l’affaire, celui que ses voisins prenaient pour un idiot.

     

     

     

    A lire également :

     

    Surveiller et punir - Michel Foucault

     

     

     

     

     

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  • L’espèce humaine n’est pas le compte rendu du séjour de Robert Antelme dans les camps de concentration, ou du moins, ce n’est pas que cela. Robert Antelme évoque bien son enfermement à Buchenwald après son arrestation en 1944, mais à travers tous les détails de la vie dans le camp, puis dans le commando envoyé à Gandersheim, et enfin dans la fuite désespérée des SS avec leurs prisonniers dans le nord de l’Allemagne, ce qu’il cherche à démontrer c’est la logique propre au système SS, qui visait à retirer aux détenus leur appartenance à l’espèce humaine en les réduisant à l’état de bêtes, capables seulement d’agir pour la satisfaction de leurs besoins les plus naturels.

    A cette fin, les SS décidèrent de confier la garde quotidienne des détenus aux « kapos », détenus de droit commun allemands, choisis pour encadrer l’ensemble des étrangers, politiques ou droit commun, ainsi que les quelques politiques allemands. Les kapos y gagnaient des privilèges : nourriture plus abondante et plus variée, confort plus important et droit de maltraiter l’ensemble des détenus.

    Ce qui importait le plus aux détenus « ordinaires », c’était donc bien d’affirmer leur nature humaine face aux tortionnaires qui la niaient. Cela passait d’abord par la solidarité qui devait s’établir entre tous. Difficile à maintenir dans de tels groupes, elle était un élément déterminant pour faire front face à l’oppresseur. Pour l’accompagner et la renforcer, la culture jouait aussi un rôle non négligeable, comme le montre cette extraordinaire scène où des détenus de différentes nationalités et langues récitent de mémoire des poésies, ou chantent.

    Robert Antelme décrit cette opposition sourde des hommes aux tortionnaires nazis et à leurs supplétifs avec une extrême minutie, qui permet de bien comprendre le système concentrationnaire dans sa nature, si différente de tous les modes d’asservissement ayant pu être expérimentés par des hommes auparavant.

    Ainsi se dégage la volonté irréductible de ces hommes de se maintenir en vie sous la plus ignoble des conditions, et de ressentir chacun comme une blessure personnelle l’exécution ou la mort d’épuisement de l’un de leurs camarades.

    Dans cet ensemble absolument inouï se détache le mot d’un détenu allemand déjà âgé qui, dans l’atelier, recommande à ses compagnons étrangers dans l’accomplissement de leur travail : « langsam ! » - lentement -, ultime forme de la résistance passive.

    Il s’agit d’un ouvrage majeur qui bouleverse les idées et les sentiments que nous pouvons détenir sur la permanence de la vie humaine.

     

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