• Paris est une fête – Ernest Hemingway

    Au lendemain d’un terrible conflit comme la Première Guerre Mondiale, les survivants ressentent couramment le besoin de se distraire pour oublier les privations et les blessures du passé. C’était le cas au début des années 1920, lorsqu’un certain nombre d’Américains choisirent de venir vivre à Paris. Ceux-ci se recrutaient surtout dans les milieux artistiques ou dans le journalisme. C’est ainsi qu’affluèrent des écrivains américains en devenir ou déjà consacrés.

    Ils habitaient de modestes logements dans des quartiers alors populaires, comme le Quartier Latin. Ernest Hemingway est celui qui popularisa cette époque et en restitua le souvenir dans Paris est une fête. Il laisse entendre que son récit, rédigé dans les dernières années de sa vie, à partir de notes d’époque retrouvées tardivement, pourrait être considéré comme une œuvre d’imagination. Cela indique, à tout le moins, que les éléments révélés par Hemingway sont le fruit d’une vision personnelle, sans doute infléchie par les quelques trente années écoulées depuis les événements qu’ils relatent.

    L’atmosphère du Quartier Latin restituée par Hemingway corrobore largement d’autres livres de l’époque : je pense notamment aux romans de Léo Malet. Ce qui inspire particulièrement Hemingway, c’est la fréquentation des cafés, où il écrivait ses nouvelles en consommant du vin ou du whisky. Son lieu de prédilection était la Closerie des Lilas, dont les tarifs devaient être beaucoup plus modestes qu’aujourd’hui.

    Ses portraits des « Américains de Paris » sont volontiers acides. Gertrude Stein, à qui il s’était présenté avec sa femme, fut sa première amie, dont il admirait le studio décoré d’œuvres contemporaines qu’elle partageait avec sa compagne. Elle lui donna quelques conseils sur sa manière d’écrire, en jugeant inaccrochables certains de ses textes comme Là-haut dans le Michigan. Il fut légèrement blessé lorsqu’elle lui révéla, après un incident avec un mécanicien, qu’il appartenait, comme tous les jeunes gens qui avaient fait la guerre, à une génération perdue. L’expression, proférée par le patron du mécanicien, a fait école pour désigner toute cette génération d’écrivains américains. Par la suite, ils se brouillèrent. En revanche, ses relations avec Sylvia Beach, la gérante de la librairie « Shakespeare and Company » restèrent toujours cordiales.

    Le plus long des portraits est consacré à Scott Fitzgerald, son aîné, « qui ressemblait alors à un petit garçon avec un visage mi-beau mi-joli. » Hemingway semblait intrigué par son confrère, dont il notait certaines caractéristiques physiques et d’apparentes crises visibles dans sa physionomie. Il effectua avec lui un voyage à Lyon, au cours duquel Scott Fitzgerald rata le train, voyage qui se révéla très frustrant en raison du caractère maladif de son compagnon, arrivé avec un jour de retard, et d’une crise qui le prit durant son séjour.

    Hemingway avait tendance à sous-estimer Scott Fitzgerald jusqu’à ce qu’il lût Gatsby le Magnifique, dont la qualité l’impressionna, alors que lui-même n’avait encore écrit aucun roman. A la fin, c’est envers Zelda que Hemingway se montre le plus critique : il prit clairement parti contre elle, la jugeant folle.

    Ainsi le récit, insensiblement, de la fête gagne la folie et la désillusion, malgré  la description des semaines consacrées au ski en Autriche, alors que les relations avec sa femme Hadley, après qu’elle eut perdu ses manuscrits, se détérioraient. Hemingway peine à cacher la mélancolie qui s’emparait de lui. Un an après avoir achevé son récit, il se tira une balle dans la bouche.

     

    Cette œuvre laisse finalement une impression mitigée, Hemingway peinant dès le début à faire ressortir une franche atmosphère de fête dans le Paris appauvri de l’après-guerre et sombrant au fil des rencontres et des événements dans une dépression à peine dissimulée. La vérité sur sa personnalité est sans doute contenue dans cette alternance de joie et de tristesse.


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