• Une femme d’âge moyen loue une maison isolée dans le Pays de Galles. Arrivée en voiture des Pays-Bas après une traversée houleuse de la Mer du Nord, elle découvre progressivement son nouvel environnement, la dizaine d’oies dont elle a la garde, les blaireaux qui errent aux alentours. Elle fait connaissance avec les commerçants de la petite ville voisine, qui la prennent généralement pour une Allemande.

    Le roman narre son adaptation à son nouveau milieu, la précarité de son existence présente. Il mentionne la thèse que la femme a entamée au sujet de l’œuvre de la poétesse américaine Emily Dickinson.

    Un jour, un adolescent passe à côté de la maison. Une relation se noue ; l’adolescent reste.

    Parallèlement, peu à peu se dévoile le passé de cette femme, les tensions familiales qu’elle a pu connaître. Son mari, demeuré aux Pays-Bas, apparaît.

    Tout l’intérêt et le charme de ce roman résident dans le dévoilement progressif des nœuds de la vie de cette femme au travers de ses réflexions personnelles, de ses tentatives, de ses incertitudes, en même temps qu’apparaissent les timides démarches de son mari en vue de retrouver sa trace.

    Roman des ruptures de la vie, de la délicate cohabitation entre les générations, de la longue patience que requiert l’élaboration d’une thèse universitaire, le détour embarque le lecteur dans une aventure modeste, toute en demi-teinte, où les révélations parviennent dans le désordre, au fil d’un inconscient troublé.

    Ce roman au rythme lent requiert une attention minutieuse pour bien se pénétrer des multiples fils qui finissent par se nouer à l’écart du bruit et de la fureur du monde.

    Il s’agit d’un très bel exercice de narration.

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  • L’espèce humaine n’est pas le compte rendu du séjour de Robert Antelme dans les camps de concentration, ou du moins, ce n’est pas que cela. Robert Antelme évoque bien son enfermement à Buchenwald après son arrestation en 1944, mais à travers tous les détails de la vie dans le camp, puis dans le commando envoyé à Gandersheim, et enfin dans la fuite désespérée des SS avec leurs prisonniers dans le nord de l’Allemagne, ce qu’il cherche à démontrer c’est la logique propre au système SS, qui visait à retirer aux détenus leur appartenance à l’espèce humaine en les réduisant à l’état de bêtes, capables seulement d’agir pour la satisfaction de leurs besoins les plus naturels.

    A cette fin, les SS décidèrent de confier la garde quotidienne des détenus aux « kapos », détenus de droit commun allemands, choisis pour encadrer l’ensemble des étrangers, politiques ou droit commun, ainsi que les quelques politiques allemands. Les kapos y gagnaient des privilèges : nourriture plus abondante et plus variée, confort plus important et droit de maltraiter l’ensemble des détenus.

    Ce qui importait le plus aux détenus « ordinaires », c’était donc bien d’affirmer leur nature humaine face aux tortionnaires qui la niaient. Cela passait d’abord par la solidarité qui devait s’établir entre tous. Difficile à maintenir dans de tels groupes, elle était un élément déterminant pour faire front face à l’oppresseur. Pour l’accompagner et la renforcer, la culture jouait aussi un rôle non négligeable, comme le montre cette extraordinaire scène où des détenus de différentes nationalités et langues récitent de mémoire des poésies, ou chantent.

    Robert Antelme décrit cette opposition sourde des hommes aux tortionnaires nazis et à leurs supplétifs avec une extrême minutie, qui permet de bien comprendre le système concentrationnaire dans sa nature, si différente de tous les modes d’asservissement ayant pu être expérimentés par des hommes auparavant.

    Ainsi se dégage la volonté irréductible de ces hommes de se maintenir en vie sous la plus ignoble des conditions, et de ressentir chacun comme une blessure personnelle l’exécution ou la mort d’épuisement de l’un de leurs camarades.

    Dans cet ensemble absolument inouï se détache le mot d’un détenu allemand déjà âgé qui, dans l’atelier, recommande à ses compagnons étrangers dans l’accomplissement de leur travail : « langsam ! » - lentement -, ultime forme de la résistance passive.

    Il s’agit d’un ouvrage majeur qui bouleverse les idées et les sentiments que nous pouvons détenir sur la permanence de la vie humaine.

     

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  • Les désarrois de l’élève Törless est un de ces romans de formation qui retiennent l’attention pour avoir exprimé des phénomènes pourtant courants, mais qui étaient généralement passés sous silence, bien avant que l’ordre moral commençât à s’estomper.

    Le jeune Törless est un adolescent ambitieux qui choisit d’effectuer ses études secondaires dans l’école de W., une petite ville située « sur la ligne de Russie », c’est-à-dire dans les régions orientales de l’Empire d’Autriche Hongrie.  Cet établissement réputé pour donner la meilleure éducation attirait les futures élites de l’Empire. Ce choix, immédiatement passée la séparation d’avec sa famille, causa un grand trouble à Törless, déprimé par l’aspect austère de l’établissement.

    Bientôt plongé dans le quotidien de sa nouvelle vie, il eut d’autres difficultés à affronter. Au début de l’adolescence, les garçons ressentent les premiers élans de la sensualité et, dans la petite ville de W., c’est auprès d’une prostituée vieillissante, Bozena, qu’ils tentaient de la satisfaire, sans ressentir une grande excitation.

    A l’intérieur de l’établissement, les relations sont rugueuses. Törless se lia bientôt à deux camarades, Reiting et Beineberg, qui lui firent part des difficultés qu’ils connaissaient avec Basini, un élève qui avait emprunté de l’argent et ne parvenait pas à le rembourser.

    Ces prémisses conduisent à une situation où les deux « amis » de Törless harcèlent Basini, le maltraitant et le poussant à des relations homosexuelles que la victime acceptait sans trop se plaindre.

    L’intrigue verse ainsi dans le mélange de la terreur qu’exerçaient les deux camarades de Törless envers Basini, et de l’homosexualité dans laquelle les quatre adolescents trouvent un exutoire fortement teinté de sadomasochisme.

    Törless, décidément décalé dans ce milieu, est également gagné par des troubles intellectuels, notamment vis-à-vis des mathématiques, et en particulier des nombres imaginaires.

    Remarquablement mené, ce roman constitue certainement l’une des meilleures analyses des difficultés de l’adolescence, exacerbées par la vie en vase clos d’un internat rigoureux.

     

    Tous ces thèmes reviendront d’ailleurs dans l’œuvre maîtresse de Musil, L’homme sans qualités.

     

     

     

     

    Autre texte consacré à Robert Musil : L’accomplissement de l’Amour – Robert Musil

     

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  • A Florence le matin, après une nuit d’hôtel près de l’aéroport, un bus nous conduisit au centre de la ville, sur la piazza della Stazione. Après avoir recueilli toutes les informations nécessaires à l’office du tourisme, nous nous sommes dirigés par les ruelles étroites vers l’Arno, que nous avons traversé sur le ponte S. Trinita, face à la via Maggio, où nous avions réservé une chambre dans une vieille maison, à deux pas du Palazzo Pitti.

    Par la suite, pour aller dans le centre, nous empruntions presque toujours le Ponte Vecchio, tellement fréquenté qu’en son milieu, seul espace non bordé de maisons et donc ouvert au fleuve, il est parfois malaisé d’apercevoir celui-ci.

    Florence 2014 006

    En touristes consciencieux, nous avons évidemment visité le somptueux « Duomo », la cathédrale Santa Maria del Fiore, et avons sacrifié à la montée des 414 marches du campanile d’où, même sous un ciel gris, la vue est admirable sur les toits de la ville et les clochers des églises.

    Entre le Duomo et l’Arno s’étire tout le centre de Florence avec son réseau de ruelles étroites au plan en damier, où, ici ou là, se détachent de très vieilles bâtisses, comme la maison attribuée, sans aucune certitude, à Dante Alighieri. Le principal point de rencontre de ce quartier est incontestablement la Piazza della Signoria, vers laquelle toute la ville semble affluer, au pied du Palazzo Vecchio devant la loggia della Signoria, dans laquelle domine la statue de Persée montrant la tête de Méduse, réalisée par Benvenuto Cellini.

    Notre visite des Offices, malgré la foule, était un enchantement, alors que la galerie de l’Accademia suscita une certaine déception : hormis la pièce maîtresse qu'est le David de Michel-Ange et les ébauches de ses statues d’esclaves, l’essentiel de la collection est constituée de statues beaucoup plus récentes, sans grande originalité, et de tableaux d’épigones de Giotto, d’un intérêt secondaire. Beaucoup plus intéressant nous parut le musée du Bargello, ainsi que la remarquable collection du Palazzo Pitti.

    Par beau temps, il est agréable aussi de longer les rives de l’Arno. Ainsi, depuis la Basilique Santa Croce où se trouvent les tombeaux de quelques Florentins d’importance, comme Machiavel, nous avons suivi le quai jusqu’au ponte S. Niccolo, que nous avons traversé pour un retour par la rive gauche en nous élevant vers les jardins par des petites ruelles pentues.

    A Pise, tout le quartier commerçant et résidentiel qui s’étend devant la gare est beaucoup plus aéré que le centre de Florence. Dans cette ville où tout concourt vers la fameuse tour, il est agréable de flâner, avant d’aller déjeuner à la terrasse d’une trattoria sur une petite place pleine de charme, d’où le haut de la tour se détache. Encore une fois, nous n’avons pas manqué à l’obligation d’admirer la ville depuis la galerie supérieure de cette construction si renommée. Il convient de noter que le baptistère situé derrière le Duomo est également un monument remarquable.

    Florence 2014 035

    A Sienne, la sortie de la gare constitue déjà une expérience notable : toute une série d’escalators et de tapis roulants permettent aux voyageurs de s’extraire de cette gare enfoncée dans un vallon profond pour gagner le haut des collines où se situe ce faubourg de la ville. Lorsqu’on se rapproche du centre, les ruelles deviennent à la fois pittoresques et très commerçantes. Mais à Sienne, tout converge vers la Piazza dell Campo, très belle place en creux, comme une coquille située en contrebas de tout le reste de la ville, entourée d’immeubles qui s’harmonisent admirablement par le choix des couleurs ocre et blanc. Dans cet ensemble se détache le Palazzo Publico, construction médiévale qui abrite encore de nos jours les services municipaux, elle aussi surmontée d’un campanile très haut et fin, en haut duquel nous n’avons pu manquer de monter.

     Florence 2014 062

    Autour de la place, les rues étroites sont surtout fréquentées par les piétons. Une belle cathédrale attend aussi les visiteurs consciencieux. 

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  • Pour la première fois, dans Totem et tabou, Freud tenta « d’appliquer à certains phénomènes encore obscurs de la psychologie collective les points de vue et les données de la psychanalyse », selon les termes de la préface de cet essai.

    En se référant aux ouvrages de différents ethnologues et préhistoriens, Freud s’efforce d’analyser les motivations du totem et du tabou. Ces phénomènes existaient encore au sein de certaines peuplades primitives lorsque Freud entama la rédaction de son livre et il privilégia l’étude des peuples d’Australie, qu’il considérait comme étant « les plus sauvages, les plus arriérés et les plus misérables. »

    Dans ces tribus, on trouva l’existence du système du totémisme. Les explorateurs ont noté que «les tribus australiennes se divisent en clans, dont chacun porte le nom de son totem. Le totem est en général un animal, parfois une plante ou un phénomène naturel comme la pluie. Le totem est considéré comme l’ancêtre du clan, qui exerce une action protectrice à son groupe tout en se montrant hostile à d’autres. Les membres du clan ont l’obligation de ne pas tuer leur totem, de s’abstenir de manger sa chair. Le totem se transmet héréditairement. »

    Le système totémique impose la loi selon laquelle «les membres d’un seul et même totem ne doivent pas avoir entre eux de relations sexuelles, par conséquent ne doivent pas se marier entre eux. » Il s’agit d’une loi d’exogamie particulièrement stricte, puisqu’elle s’applique même entre un homme et une femme qui n’ont pas de lien de parenté, au sens moderne du terme, entre eux. Ainsi, la prohibition de l’inceste est-elle poussée très loin selon cette tradition.

    Le terme Tabou a son origine en Polynésie. Freud estime que l’expression terreur sacrée est la meilleure définition qui peut en être donnée. Selon lui, « les prohibitions tabou ne se fondent sur aucune raison… ; incompréhensibles pour nous, elles paraissent naturelles à ceux qui vivent sous leur empire. »

    Les règles imposées par le tabou concernent autant le respect des personnes sacrées : prêtres, chefs, … que l’appropriation des femmes.

    Le tabou vise à protéger tous les membres de la tribu contre tous les dangers possibles : conflits, catastrophes naturelles, colère des dieux, contact des cadavres, absorption d’aliments, …

    A l’origine, « le châtiment pour la violation du tabou était considéré comme se déclenchant automatiquement. » Par la suite, « c’est la société qui se charge de punir l’audacieux dont la faute met en danger ses semblables. »

    Freud passe en revue les débuts de théories énoncées par les différents auteurs au sujet de ces deux notions, pour en démontrer l’insuffisance. Il en arrive alors à la conclusion, logique pour lui, que la vie de ces peuplades primitives suivait le schéma qu’il avait imaginé concernant les névroses, avec pour élément central le complexe d’Œdipe. Il lui apparaît pertinent d’étendre à l’histoire des populations les plus anciennes le mécanisme de l’opposition des fils aux pères et du désir de ces fils de convoiter les mères, que les pères, qui sont aussi les chefs des tribus, monopolisent.

    Poussant la logique de son raisonnement à son terme, Freud envisage que dans la « horde primitive », les fils ont fini par se liguer contre le père hégémonique pour commettre le meurtre collectif qu’un individu isolé n’aurait pu assumer, et que cet acte extrême se serait conclu par un grand festin au cours duquel tous les coupables du meurtre auraient consommé la chair du père assassiné.

     

    L’intérêt fondamental de l’ouvrage de Freud consiste donc à montrer l’insuffisance de la démarche descriptive des ethnologues, qu’il vient compléter par l’enrichissement qu’apporte la théorie psychanalytique au développement des populations primitives, quelles que soient leurs origines.  

     

    Autres articles consacrés à Freud :

     

    Deuil et mélancolie – Sigmund Freud 

     

     L’inquiétante étrangeté – Sigmund Freud

     

    L’Homme aux loups – Sigmund Freud 

     

    et, en relation avec Totem et Tabou :

     

    La vie primitive  

     

     

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